L’Afrique en général et le Cameroun en particulier est confronté à une pléthore de défis sociétaux imbriqués. Sans prétention d’être exhaustif, on a les changements climatiques, l’érosion de la biodiversité, l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, la crise économique, l’insécurité énergétique, l’insécurité hydrique, etc. Par ailleurs, on assiste à la dégradation des terres et sols, qui jouent pourtant un rôle indispensable pour le maintien de la vie sur notre planète et dans la relation des sociétés à leurs milieux. L’environnement naturel en général subit de nombreuses agressions (sécheresse, pollution, destruction des habitats et surexploitation) qui sont autant de causes de perte de la biodiversité.
Face à ces multiples défis, les savoirs locaux constituent un aspect important de la solution tel qu’il ressort dans bon nombre accords internationaux et conventions internationales. Ils peuvent servir de leviers pour sauver nos sociétés de la famine, des conflits, de l’érosion de la biodiversité, de la pollution, des maladies, affronter les changements climatiques et bien d’autres défis sociétaux du présent et du futur. Toutefois, malgré leur richesse et leur valeur, de nombreux savoirs locaux sont en voie d’extinction. Divers facteurs sont avancés dans la littérature scientifique pour expliquer ce phénomène d’extinction. Sans prétention d’être exhaustive, on peut citer l’injustice cognitive à laquelle fait face ces savoirs. En effet, dans nombre de discours scientifiques, les savoirs locaux n’entrent pas dans le cadre normatif de la science conventionnelle (objectivité, universalité, vérité) qui les considère comme relevant de simples croyances, du mysticisme, du folklore ou du sens commun. Cette interprétation est renforcée par le caractère secret de plusieurs de ces savoirs qui sont détenus par une certaine catégorie de personnes qui ne les partagent que lors des rites initiatiques ou autres cérémonies[1].
En outre, avec le contexte d’impérialisme, de domination culturelle, de libéralisation des échanges économiques et de rétrécissement du monde à travers les circuits de la mondialisation, les savoirs locaux jadis considérés dans leur déploiement comme des références, ont été bousculés avec la pénétration des puissances impérialistes djihadistes et occidentales entre le XIXe et le XXe siècle. Ces savoirs locaux ont été confrontés aux schèmes idéologiques et culturels « importés » des djihadistes et des occidentaux (portugais, allemands, français et britanniques) à travers les échanges sociaux, culturels, économiques et politiques. Dans ce contexte, ils seront pour certains, mis en hibernation, pour laisser place aux « modèles voyageurs »[2]. Cette léthargie qui coïncide avec cette ambition de faire prévaloir l’hégémonie du commandement et de la culture occidentale sur les savoirs locaux s’est illustrée à travers le culte de la mission civilisatrice, les politiques d’ingénierie sociale ou de développement, les politiques de coopération ou l’aide au développement. Elle va même perdurer jusqu’au moment des indépendances à travers les approches condescendantes et hégémoniques du développement adossées au capitalisme et à la mondialisation[1]. Par ailleurs, il n’existe pas de véritables systèmes de transmission des savoirs locaux dans un pays comme le Cameroun, contrairement en Amérique du Sud, ou par exemple le Népal en Asie du Sud Est où certaines populations forestières ont mis en place des systèmes de transmission de leurs savoirs qui rencontrent les nouveaux standards et les aspirations des jeunes générations[2]. Face à ces défis, l’avènement des NTIC et d’Internet se présente comme un moyen très efficace de préserver et de partager les savoirs locaux avec un public plus large[3].
[1] Latouche Serges, L’occidentalisation du monde : essai sur la signification, la portée et les limites de l’uniformisation planétaire, Paris, La Découverte, 1989 ; Latouche Serges, Survivre au développement. De la décolonisation de l’imaginaire économique à la construction d’une société alternative, Paris, Mille et une nuit, 2004 ; Ela Jean-Marc, Innovations sociales et renaissance de l’Afrique Noire : les défis du « monde d’en bas », Paris, L’Harmattan, 1998.
[2]Parmi ces initiatives, l’Université des peuples autochtones, au Guatemala, apparaît innovante. Cette université, situé dans les montagnes du pays Maya, s’adresse à des jeunes diplômés de la communauté qui n’ont pas trouvé de travail en ville. Elle dispense son enseignement hors campus, directement dans les jardins et dans la forêt. Les professeurs sont les anciens de la communauté. Les jeunes apprennent « en situation », c’est-à-dire en produisant, et leur production est valorisée sur place à travers des méthodes « modernes » de transformation et de marketing. L’université délivre aux jeunes étudiants de la communauté des diplômes, reconnus par une université publique, qui portent la mention « savoirs naturalistes locaux » comme spécialisation d’apprentissage Michon, Geneviève. “9. Les savoirs locaux en question”. Habiter la forêt tropicale au XXIe siècle, edited by Geneviève Michon et al., IRD Éditions, 2019.
[3]Aujourd’hui, les initiatives de numérisation des savoirs africains, tant pour des besoins mémoriels que scientifiques, se développent partout en Afrique et des applications technologiques sont développées pour permettre une meilleure considération de la culture et des traditions des peuples d’Afrique subsaharienne. Voir : Dibounje Madiba, Marie Sophie. 2016. « Réhabilitation de la fierté de l’Afrique subsaharienne par la valorisation numérique des savoirs et patrimoniaux : quelques initiatives ». In Justice cognitive, libre accès et savoirs locaux. Pour une science ouverte juste, au service du développement local durable, sous la direction de Florence Piron, Samuel Regulus et Marie Sophie Dibounje Madiba. Québec, Éditions science et bien commun.
Le CRIC-IALOK a une mission de documentation, de capitalisation, de conservation et de transmission des savoirs locaux à long terme dans tous les domaines (agriculture, architecture, gestion de l’environnement et de la biodiversité, la santé pris de façon holistique, alimentation, etc.), en vue de leur promotion comme un puissant levier de développement durable, sources de solutions aux défis sociétaux et d’innovation. Cette plateforme a donc pour objectif de constituer un référentiel complet de différents types de systèmes de savoirs locaux/ traditionnels en Afrique et au Cameroun en particulier, dont leur intégration à la science moderne, peut contribuer à répondre aux divers défis sociétaux.
Le CRIC-IALOK vise également à intégrer les savoirs locaux dans les outils de l’intelligence artificielle. Et le CRIC-IALOK s’inscrit en droit ligne dans l’intersection savoirs locaux et intelligence artificielle. La production des données sur les savoirs locaux combinée aux technologies dont l’IA est un vecteur important dans la sauvegarde, la préservation, la vulgarisation, l’apprentissage, l’utilisation et de développement des savoirs locaux par les générations présentes et futures des peuples.
Le CRIC-IALOK est enfin une plateforme d’apprentissage qui rassemble des informations sur les savoirs locaux et de leurs détenteurs et destinés à ces derniers en un seul endroit à des fins d’apprentissage social.
Notre vision est que le recueil, la redécouverte, la conservation, la vulgarisation et l’application des savoirs locaux sont des sources de solutions aux défis de l’atteinte des objectifs de développement durable.
Méthode
L’approche méthodologique qui est mise en œuvre dans le cadre de ce projet se déroule en quatre principales phases que sont la phase préparatoire, la collecte de données sur le terrain, le traitement des données collectées et la rédaction des fiches de synthèse, la création des catalogues numériques sur les savoirs locaux par domaine.
Ce projet mobilise principalement une méthodologie de recherche communautaire afin de documenter les savoirs de chaque communauté dans divers domaines. Cette approche participative a l’avantage de permettre la co-documentation des savoirs locaux avec les membres de la collectivité. Les techniques de collecte des données suivantes sont utilisées : les entretiens collectifs au sein de chaque communauté, les entretiens individuels auprès des détenteurs de savoirs locaux et divers membres des communautés, des ateliers et de séminaires de mise en commun des connaissances, des observations ethnographiques, de cartographie participative des savoirs locaux.
Les auteurs sont d’abord invités à présenter une proposition résumée de 150 à 200 mots dans le cadre des appels à contribution. Si votre proposition est retenue, votre article vulgarisé devra compter de 1500 à 3000 mots. Tous les détails dans le protocole éditorial à télécharger en bas de la page.
Le comité scientifique du Colibscope évalue et sélectionne collégialement les propositions de textes. Les textes sont soumis à la suite de la sélection des propositions sont révisés par deux personnes externes spécialistes du domaine de recherche et par le comité
scientifique.
Le Colibscope accepte des soumissions ponctuelles d’articles en lien avec des sujets d’actualité en lien avec les centres d’intérêt des Instituts du CRIC. Pour nous signifier votre intérêt, contactez-nous par courriel à :
Comment vous pouvez soutenir le recueil, la redécouverte, la conservation, la vulgarisation et l’application des savoirs locaux ?
Partagez vos ressources sur les connaissances et pratiques locales, autochtones et traditionnelles ici sur la plateforme IALOK, y compris des études de cas et d’autres ressources. Contacter-nous au : contact@colibri-cric.org
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