L’entrepreneuriat est la clé pour les doctorants et chercheurs de transformer leurs connaissances en solutions concrètes pour des défis sociétaux. Cette démarche valorise la recherche en montrant son utilité pratique et en renforçant les liens entre la recherche académique et le monde socioéconomique. En rendant leurs résultats accessibles, les chercheurs contribuent à l’avancement des connaissances et à la création de valeur économique et sociale, favorisant une culture de l’innovation durable. C’est le cas de Yoganie YEMO NGOUEGNI, doctorante en Physiologie et biotechnologie végétales, option Phytopathologie à l’Université de Dschang et Chercheure à l’Institute for Local Knowledge (IKL) du CRIC, porteuse du projet d’entreprise dans le secteur de l’entrepreneuriat vert : BioPlants & Crops Neglected Group
La chercheure et éco-entrepreneure nous parle de sa transition entre la recherche et l’entrepreneuriat scientifique :
1- Quelles sont vos motivations à opérer une transition entre le monde de la recherche académique et l’entrepreneuriat scientifique ?
Ma transition vers le monde de l’entrepreneuriat scientifique est sous-tendue par un désir d’apporter des solutions innovantes à des défis sociétaux auxquels nous sommes confrontés, en transformant ainsi les résultats de mes recherches en bénéfices tangibles pour la société. C’est la raison pour laquelle je travaille avec acharnement et passion pour la concrétisation de mon projet d’entreprise « BioPlants & Crops Neglected Group ». L’entrepreneuriat dans lequel je suis engagé est une extension de mes recherches et une possibilité pour une plus grande diffusion des résultats.
2-Quels sont les problèmes sociétaux dont votre projet d’entreprise entend apporter des solutions ?
Deux défis majeurs sont au cœur de ce projet d’entreprise :
- La perte de la biodiversité des plantes médicinales et aromatiques (PAM)
Les plantes médicinales constituent la principale source de médicaments des populations au Cameroun. Le coût élevé des médicaments de l’industrie pharmaceutique amène les malades et leurs prescripteurs traditionnels à maintenir et même à revenir vers les plantes de cueillette. Cependant, la surexploitation des plantes médicinale, associée au recul de biodiversité végétale provoqué par le déboisement généralisé, la désertification et le changement climatique, l’agriculture intensive, avec son cortège d’engrais chimiques, de pesticides et autres pratiques agricoles néfastes, entraînent la raréfaction voire la disparition de nombreuses espèces de plantes médicinales et aromatiques. Il s’ensuit donc un appauvrissement de la flore camerounaise, une menace réelle sur la biodiversité sans oublier une perte de notre riche patrimoine culturel médicinal. En plus, les plantes médicinales cueillies dans la nature par les populations et les guérisseurs traditionnels ou naturopathes ne sont pas toujours de bonne qualité à cause de leur contamination par les produits chimiques de synthèse et la pollution des sols. La biodiversité des épices et plantes aromatiques qui jouent un rôle important dans notre vie quotidienne sont aussi menacées de disparition.
- L’insécurité alimentaire et nutritionnelle
Le deuxième défi auquel le Cameroun est confronté est la grave crise de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. En effet, souvent considéré comme le « grenier agricole de l’Afrique centrale », le Cameroun connaît une forte dépendance croissante aux importations des produits alimentaires de grande consommation (poissons, riz, sucres, blé, lait, produits pharmaceutiques et autres) malgré un potentiel agricole important. Cette insécurité alimentaire et nutritionnelle s’est amplifiée ces dernières décennies sous l’effet de l’enchevêtrement des crises humanitaires (le conflit anglophone dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, crise au Nord avec Boko Haram, crise transfrontalière au Sud avec les réfugiés) et les évènements climatiques extrêmes principalement dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Dans les zones rurales, alors qu’ils produisent la plus grande part des aliments consommés sur le territoire national et exportés même dans les pays voisins, les petits agriculteurs ruraux souffrent de la faim et de l’insécurité alimentaire en raison de la défaillance des systèmes alimentaires.
Cette crise de la sécurité alimentaire et nutritionnelle semble être une fatalité pourtant la revalorisation de nos aliments indigènes (ce que le langage scientifique nomme aujourd’hui les cultures négligées et sous-utilisées), susceptibles de favoriser la transformation des systèmes alimentaires locaux, est une composition majeure de la solution. En effet, le Cameroun abrite une grande variété de cultures et d’aliments traditionnels incroyables, dont les valeurs nutritionnelles et la résistance aux chocs climatiques en font les aliments de l’avenir. Ces plantes oubliées ou sous-utilisées sont des trésors méconnus de notre écosystème, possédant un potentiel immense pour répondre à ces défis. Elles nécessitent moins de ressources, résistent mieux aux parasites et sont plus riches en nutriments que les cultures dominantes, faisant d’elles des solutions durables et efficaces face à l’insécurité alimentaire.
3- Quelles solutions innovantes apportez-vous à ces deux problèmes sociétaux ?
Face à ce double défi, l’entreprise BioPlants & Crops Neglected Group apporte les solutions suivantes :
S’agissant du premier problème, l’entreprise met sur pied des jardins botaniques de culture en serre de plantes médicinales et aromatiques, la constitution des banques des collections végétales vivantes et de semences pour la conservation de la biodiversité des PMA.
En ce qui concerne le problème d’insécurité alimentaire et nutritionnelle, la solution apportée par BioPlants & Crops Neglected Group consiste à créer des parcelles de culture des plantes alimentaires négligées et sous utilisées (NUS), à constituer des banques de semences pour la conservation de la biodiversité NUS, à transformer en aliments et en boissons diététiques certaines NUS. Nous avons également pour projet la création d’un restaurant local spécialisé dans les NUS qui sera appelé « Neglected Food Restaurant ».
4-Quelles sont les missions et la vision au cœur de BioPlants & Crops Neglected Group?
BioPlants & Crops Neglected Group est une entreprise qui poursuit une double mission :
- Produire, transformer et commercialiser des plantes médicinales et aromatiques de qualité.
- Produire, transformer et commercialiser les cultures négligées et sous utilisées.
BioPlants & Crops Neglected Group a pour vision de promouvoir l’agriculture biologique des plantes médicinales, aromatiques et des cultures négligées et sous-utilisées (NUS). Elle entend devenir le leader dans la production et la commercialisation des plantes médicinales, aromatiques et des cultures négligées au Cameroun et dans la sous-région Afrique centrale.
5- D’où vienne l’idée de BioPlants & Crops Neglected Group ?
Ce projet d’entreprise découle de mon désir de valoriser les résultats de mes travaux de recherche, des connaissances et compétences acquises au cours de ma formation académique. Je suis chercheure en physiologie et biotechnologie végétales, option Phytopathologie à l’Université de Dschang au Cameroun. Ma formation académique m’a permis de développer de solides compétences sur les plantes médicinales et aromatiques. En plus, au sein de l’Institute for Local Knowledge du CRIC, je travaille sur les savoirs locaux relatifs aux plantes médicinales, aromatiques et alimentaires. Je mène depuis janvier 2025 des recherches sur les espèces négligées et sous-utilisées. C’est-à partir des recherches sur cette question que j’ai découvert le potentiel des espèces négligées et sous-utilisées (NUS) (encore reléguées au second plan par les politiques agricoles et les systèmes de recherche au Cameroun), dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle et l’amélioration des moyens de subsistance des populations rurales.
6-Du 8 au 10 juillet 2025, vous avez pris part comme éco-entrepreuneure au Programme The Women Entrepreneurship for Africa (WE4A) à Bafoussam (Ouest-Cameroun). De quoi s’agit-il ?
Le programme « Entrepreneuriat féminin pour l’Afrique » (WE4A) (https://www.get-invest.eu/fr/fund/women-entrepreneurship-for-africa-we4a/) mis en œuvre par la Fondation Tony Elumelu (TEF) et l’Agence allemande de développement (GIZ) (programme E4D), a pour but d’autonomiser les communautés défavorisées d’Afrique subsaharienne, notamment les femmes, les jeunes et le secteur informel. Ce programme cible les micro, petites et moyennes entreprises (MPME) et les start-ups dirigées par des femmes au Cameroun et dans d’autres pays africains. Les secteurs ciblés comprennent l’agriculture durable, l’économie bleue, les énergies renouvelables, l’économie circulaire, la gestion des déchets et l’écotourisme. Dans le cadre de ce programme, nous bénéficions d’une formation en gestion d’entreprise de la TEF, d’une formation à l’économie verte et à l’inclusion numérique, d’un mentorat.
Photo : Yoganie YEMO NGOUEGNI, bénéficiaire du programme The Women Entrepreneurship for Africa (WE4A)

7-Pour vous, que représente l’entrepreneuriat scientifique ?
De nos jours, après des longues d’années d’études à l’université, de nombreux diplômés de niveau master et doctorat se retrouvent en chômage. Sans perspectives de carrière, ils sont obligés de se reconvertir dans le secteur informel pendant que d’autres émigrent à l’étranger. Pourtant l’entrepreneuriat scientifique représente une partie de la solution à ces défis. L’entrepreneuriat scientifique est certes une aventure difficile mais représente une opportunité pour les jeunes diplômés et chercheurs de valoriser leurs connaissances pour avoir un impact sur la société. En plus d’avoir un impact sur la société, l’entrepreneuriat scientifique est une excellente façon de valoriser ses compétences transversales et d’en apprendre de nouvelles qui sont extrêmement utiles dans le monde professionnel hors du milieu académique.
Pour terminer, mon message à mes pairs doctorants et jeunes chercheurs, c’est : Osons aller au-delà de la recherche fondamentale ! Osons utilisez nos connaissances pour répondre aux problèmes sociétaux ! NB : Cet entretien s’inscrit dans le cadre de la mission du pôle Innovation et Entreprenariat du CRIC (https://colibri-cric.org/innovation-et-entrepreneuriat/). Il a pour mission de promouvoir la culture entrepreneuriale auprès des diplômés, des chercheurs en début de carrière et doctorant(es). Il privilégie une approche personnalisée auprès des bénéficiaires suivis en service-conseil.